Épilogue : Lettre ouverte à M. Bobin
Montauban, le 13 octobre 2022
Cher Monsieur Christian Bobin,
J’aime vous appeler rondelettement ainsi, cela renforce cette aura mystérieuse dont mon jeune âge, à la rencontre fascinée de votre premier livre, vous a immédiatement auréolé. Petite déjà, j’aimais les analogies et toutes arborescences -même fugitives- me guidant sur ce chemin d’intuitions qui me semblait être le plus bel horizon ; lors, j’avais apparenté votre nom à celui de « Bonté » … Et je ne m’étais pas trompée ! « L’homme-joie », – et si on ne devait garder que trois lettres – l’homme bon, n’est-ce pas vous ?!
Oui, car je dois vous dire que je suis tombée très tôt dans la fontaine de vos mots. A l’aube du ruisselet de mes 17 ans peut-être. Suivre le fil d’une écriture qui a la même mouvance, la même limpidité que celui de l’eau est rare. Bruissement léger, trésor de musicalité, murmure pour initiés. Cette merveille a adouci mon entrée dans une vie d’adulte à laquelle j’étais fort peu préparée au regard de ma rêveuse nature.
Or, dans ma vie, chacun de vos livres fut précisément (ou devrai-je dire tout le contraire : imprécisément) un rêve venu comme pour m’éclairer, un rêve que j’aurais fait au cœur de la nuit et qui, au réveil, m’aurait laissé de douces traces. Fortifiantes, ressourçantes. Inspirantes ! Aussi apprendre que « Le muguet rouge » était né de cette miraculeuse tournure onirique ne m’en a émue que davantage. Une synchronicité-comme je les aime- qui s’ajoute à toutes celles qui enchantent mes jours au gré de petits événements insignifiants portant l’humble délicatesse d’une empreinte divine.
Je ne crois pas me tromper en vous racontant que c’est mon père qui m’a offert mon premier ouvrage de vous, « La part manquante ». Prodigieux, le tintement des pages de votre opuscule en mon cœur opalescent. « Une petite robe de fête » est ensuite venu promptement orner la panoplie de mes pensées toujours prête à accueillir de nouvelles parures poétiques.
Et la collecte, minutieuse, attentive n’a eu de cesse de s’agrandir. Timidement, pas à pas. Je ne suis pourtant pas collectionneuse dans l’âme, peu attirée par l’idée d’entassement de biens matériels de quelque sorte que ce soit – y compris les livres qui, une fois lus, peuvent très bien être gardés en soi-, mais là c’était tout autre chose ; la sensation ténue de tenir entre mes mains un bout de ciel et cette idée tenace que mis bout à bout, j’y volerai enfin !
Vous étiez alors – et ce dans tous les sens du terme- un auteur « confidentiel » – publié dans des maisons d’édition hautement sélectives, « lettres vives » en est un bel exemple, et pour cette raison en lectrice avertie, j’avais pour tâche importante de faire éclore vos mots à l’aide d’un coupe papier, oxymore troublante : trancher dans le vif pour laisser passer la douceur !
Sans comprendre vraiment pourquoi -du moins sans le recours à la raison-. Dès les premières lignes -et ensuite, il n’en a guère été autrement-, vos mots se sont fichés sur une émotivité tout encline à vibrer de mille petits élans inutiles, pourtant ô combien subtils, qu’elle se croyait inexorablement seule à percevoir. Des vagues de poésie. De puissantes déferlantes au pouvoir élévateur ont empli l’immense imagination qui me sert d’esquif dans ce monde si souvent brutal.
Et puis cette révélation unique qui m’était offerte, une clef qu’il me faudrait garder précieusement, patiemment, en attendant le jour où une porte magique se présenterait à moi. L’évocation va vous plaire, mais elle est surtout pour moi bien réelle -ou surréelle s’il faut à tout prix hiérarchiser-, vous savez de ces portes que l’on peut trouver sur les arbres dans les forêts profondes, à mon sens plutôt celtiques (mes origines bretonnes sont à ce titre bien parlantes !) et qui, à peine entrebâillées, vous laisse entrapercevoir une multitude de rayons de lumières aurifères à l’existence insoupçonnée bien que rêvée.
Cette porte magique s’est ouverte. Tardivement certes. Mais elle s’est ouverte. Et j’aime penser que vous y êtes pour quelque chose. Alors merci. Merci pour cette grâce de solitude, pour la beauté du manque que j’ai lus chez vous et qui m’a fait reconnaître l’Amour. Le vrai. Au bon moment. Au bon endroit. Dans une harmonie cosmique absolue.
Cet amour aussi simple qu’inaccessible (parce que rencontré trop tard) m’a fait prendre la plume. Et pour ne rien vous cacher, c’est l’homme qui me l’a inspiré celui-là même qui m’a encouragé dans cette entreprise, en tout point salvatrice. Les mots ne remplacent pas l’amour. Non, c’est bien plus fort que cela puisqu’ils le sauvent en le sublimant, le rendant plus proche de nous comme jamais il ne saurait l’être autrement. Aujourd’hui mon écriture a évolué, porteuse d’un bonheur qui me fait d’autant mieux comprendre vos écrits. Et Je les savoure. A n’en plus finir.
Je suis heureuse de vous avoir rejoint de l’autre côté de la rive. Celle où l’écriture ravive. Cette affirmation pourrait paraître prétentieuse. Elle ne l’est pas. C’est un pur constat. J’aime ma présence alternée sur ces deux berges. D’un côté, la lectrice qui se nourrit, s’enrichit. De l’autre, l’écrivaine qui aime et grandit.
Le mérite- si mérite il y a- vous revient en grande partie, vous qui avez su faire germer des graines à propension diaprée issues d’une fécondité qui attendait l’enracinement, l’encrage, la mise en mots pour une floraison rêvant d’exhalaisons célestes.
Ainsi, j’achève aujourd’hui d’écrire un livre. Il ne prétend à rien sinon à dire l’amour. Dans toute la resplendissance où il m’est venu. Il est le témoignage authentique de la femme que j’ai été et que je suis devenue en ailant mes mains d’une plume.
Je n’égalerais jamais tous les bienfaits -ceci étant votre merveilleux apanage- découlant de la lecture de vos livres. Cependant, j’espère toucher, emporter ! En particulier- c’est la source même, le cœur du souffle poétique – Celui qui a fait de moi l’écrivaine exaltée du livre de ma vie. Je souhaite clamer au monde entier que si la chance existe, il faut ensuite continuer de la provoquer, la convoquer encore et toujours, choisir la résilience et la persévérance qui ne sont pas que des vaines rimes puisque, unies, elles font que les rêves se réalisent !
Pour faire mes premiers pas dans l’écriture, j’ai choisi naturellement votre accompagnement. Non en fait, je n’ai rien choisi du tout, je n’ai rien cherché. Tels des papillons aux déliés qui repoussent l’éphémère, vos paroles m’ont fait l’immense honneur de venir se poser sur l’aurore de chacun de mes chapitres et parfois en leur crépuscule. J’ai gardé vos citations telles quelles sans vouloir me les approprier comme ces dons que vous m’avez toujours faits et qui m’aident à avancer, à vivre cette belle « Grande vie » !
Pâle mot que « merci » en regard à ma profonde gratitude, à cette heureuse bénédiction de vous compter de ce monde.
Sincères pensées d’une ilienne fraîchement ailée,
Yvane