« Ce livre avait changé le cours de ma vie… »
« Où suis-je ? Ou plutôt qui suis-je ? ». Étrange matin où -à l’instar d’une fièvre- ces mots me réveillent au moment même où ils s’échappent de mes lèvres. Tourbillon de doutes, bribes de rêve échevelé… Le vent du sommeil a soufflé !
La rescapée éprouvée sait qu’elle doit convoquer ses sens pour éclaircir ses pensées. Oreiller collé contre la poitrine, je touche mes draps bleus, le moelleux et le froissé exhalent cette odeur douce et charnelle née du bouillonnement chaud de la nuit. Alors, soudain, tout me revient : la veilleuse allumée, les heures claires-obscures emplies de mots lus avec avidité, dévorés avec passion et patience, le murmure lent des pages, la résonance dans le cœur….
Je sens ma main se poser d’instinct à l’endroit précis où des battements désordonnés l’étreignent, ce faisant, je jauge l’instant comme il se doit car, l’amoureuse l’a appris, quand le corps parle -palpitations mystérieuses à l’appui- c’est qu’il nous avertit que quelque chose d’important se produit.
L’ouvrage responsable de mes chamboulements s’offre à ma vue, ouvert sur l’océan de mon lit, la page élue, gardée et retenue par un signet fleuri :
« Un grand livre commence longtemps avant le livre. Un livre est grand par la grandeur du désespoir dont il procède, par toute cette nuit qui pèse sur lui et le retient longtemps de naître. »
Quel est ce prodige révélé ? En quoi et pourquoi m’était-il destiné ?
On trouve parfois dans les livres une phrase qui semble n’avoir été écrite que pour nous… Coïncidence ? Synchronicité ? Magie ? Qui peut dire ?
Les livres, nous croyons les choisir, mais si c’était eux qui nous choisissaient ? Pensée enchantée. Gloire à ces livres qui savent nous trouver, comme prédestinés à nous tomber dans les mains, sachant précisément quoi nous apporter et à quel moment. Ils fleurissent nos chemins en semant les bons mots. Ils éclairent notre parcours en y déposant des pensées phares. Il est impossible que ces lectures soient le fruit du hasard !
Ce soir-là, dans la montagne de livres trônant au-dessus de ma tête de lit, j’avais cru choisir ce livre qui avait changé le cours de ma vie… : « Une petite robe de fête », belle parure et cerceau de mots pour accompagner le bal inouï d’une vie destinée à virevolter ! Livre lu jeune fille et relu, femme. Entre ces deux soirs, vingt ans d’écart ! Mais pas seulement… Puisqu’entre ces deux interstices, j’avais rencontré ma Part manquante et j’avais écrit un livre !
A ce jour, il dort à l’état de manuscrit, il attend son heure ou plutôt son printemps, sagement. Follement aussi car il est la preuve tangible que quelque chose a changé. Je me suis couchée lectrice et un beau jour, je me suis réveillée écrivaine ! Voilà ce que mon cœur me rappelle en ce matin tempétueux.
La dormance est un état plus riche qu’il n’y paraît ! Oui, car c’est comme si j’avais dormi sur cette pensée pendant des années – métamorphose silencieuse se tissant dans le secret de mes nuits- et la voilà qui m’avait réveillée un jour avec les sensations inhérentes au sortir du cocon.
Je me sentais pousser des ailes dans tous les sens du terme ! Désireuse de connaître toutes les envolées de cette Grande vie comme l’appelle Christian Bobin !
Combien de chemins, d’arborescences possibles grâce aux livres ! Âme de papillon… Qui n’a pas connu ces incroyables sensations ? Les livres qui font basculer nos vies sont ceux qui nous rappellent combien la vie est fragile, précieuse, belle, éphémère… Les livres qui nous touchent nous font passer à l’action, effet immédiat ou à retardement, peu importe le tremplin est si puissant qu’ils nous donnent l’élan pour donner à nos rêves un pur rayonnement !
Et ce n’est pas tout, car à cela s’ajoute une seconde option – en tout cas chez moi ! – : quand un livre particulier vient me percuter, me rappeler d’exister, c’est-à-dire de vivre vrai, cela se décline en deux possibilités :
1. Il change ma vie ;
2. Il me sauve.
Je ne mentirai pas en vous disant que j’ai connu ces deux cas. Il existe de nombreux sauvetages possibles, la polysémie du mot est à l’image des mille et une régénérations puisables au cœur des ouvrages.
On a tous dans le cœur un livre dont le secours relève du providentiel.
« Je l’aimais » d’Anna Gavalda, en bonne étoile, brille dans mon ciel de lectrice. Ce livre venu me prendre la main dans une librairie de Bretagne, s’invitant dans ma chambre au crépuscule, a répandu au cœur de la nuit cette magie si spéciale -vous savez- empreinte d’une fascination telle qu’il vous est impossible de le refermer sans être allé au bout de la lecture, de l’aventure…
Ce soir-là, dans ma Belle-Isle-en-mer, si ce livre envoûtant ne m’avait pas tenu en haleine, j’aurais péri dans un incendie.
« Peu de livres changent une vie. Quand ils la changent c’est pour toujours, des portes s’ouvrent que l’on ne soupçonnait pas, on entre et on ne reviendra plus en arrière. »
Hier, je lisais. Aujourd’hui, je lis et j’écris. Je participe même à un concours !
Dans tous ces élans, l’espoir est là ; c’est lui qui provoque la chance.
Les grands changements s’opèrent dans les cœurs prêts à les recevoir.